Qui sommes-nous réellement, que sommes-nous devenus ? Quelle est la place de l’humain-e au 21e siècle ? Face à la perte de sens, nous ne savons plus vers qui, vers quoi nous tourner. Nous avançons tête baissée en prétendant vivre. Est-ce la seule voie, la seule issue pour un monde que nous avons mis des millénaires à fabriquer avec nos propres mains ? Certes, il n’est pas toujours reluisant, les erreurs ont accompagnées notre chemin, mais elles nous appartiennent aussi, elles sont nôtres, elles veulent dire des choses de nous seulement si nous les embrassons et si nous ne voulons pas les effacer. Alors pourquoi les laisse-t-on à l’abandon d’un langage binaire qui réduit la grâce de notre existence ? Nous voulons nous purifier de nos péchés, faire comme si ce n’étaient pas nous, mais si nous annihilons toutes les traces de notre parcours nous ne sommes plus humains-es. Ne faudrait-il pas reconsidérer notre place au sein de notre présent ? Faire face, à la réalité de notre espèce, de nos émotions, de nos idéaux, de nos maux, de notre langage. Pourquoi désirons-nous aller plus vite, pour aller où ? Nous n’en savons rien. Mais alors quoi ?
Le polissage de nos aspérités n’est plus que le reflet d’une perte de valeurs. Nous ne savons plus écrire, nous ne savons plus utiliser nos mains, qui, remplacées par l’efficacité de nos machines, nous à fait perdre l’essence même de notre propre évolution. Nous avons frappé le sol avec un marteau, qui par son efficacité nous a fait rêver d’un monde sans souffrance… physique. Cependant, contrairement aux machines, nous pensons et, nous défaire de nos mains, nous replonge dans l’aurore de notre position de quadrupèdes. Ces révolutions industrielles, puis siliconnées, et aujourd'hui artificielles frappent avec brutalité le sens premier de ce mot. Un retour à la case départ, qui efface d’un geste, l’écriture de nos vies. Nous voilà seuls-es, perdus-es, en recherche constante d’un nouveau, pour nous faire oublier que nous ne pouvons plus connaître la sensation de satiété, que les nutriments apportés par nos mets sont vides de saveur ; alors on mange, on s’empiffre, on invente, on réinvente, on fait, on défait, on construit, on déconstruit, on reconstruit les mêmes choses. Nous n’avançons plus, nous faisons du surplace. Le moment aujourd’hui n’est plus qu’illusion. Les notes se répètent, mais ne produisent plus de mélodies. Juste un rythme incessant, lancinant, qui frappe notre inconscient et nous rabaisse, nous amoindrit, nous réduit, nous étouffe. Aujourd’hui, ce poids énorme de notre existence nous le portons seuls-es sur nos frêles épaules endolories par cette humanité qui ne semble plus avoir de frontières.
Alors quoi faire ? Se plaindre, la complainte est notre activité favorite, nous n’avons jamais eu autant de biens, de choses à faire, de luxe même et pourtant nous ne nous sommes jamais autant ennuyés. Peut-être parce que la vie nous quitte un peu plus chaque jour, peut-être parce que notre corps ne sert plus qu’à transporter les boyaux qui expulsent les déchets de notre être sans âme. Nous ne serions alors devenus-es plus que des machines à chier. Quelle horreur ! Cela ne peut être vrai, cela ne peut correspondre à la quête de notre humanité : des boîtes à chier. Mais cette image, cette vision de nous-mêmes, nous ne sommes pas obligés-es de l’accepter. Ce n’est pas la seule issue, nous ne sommes pas obligés-es de suivre ce chemin scénarisé par notre manque de courage de voir les choses différemment. Nous n’avons pas mené tous ces combats, ces luttes, ces évolutions qui ont bâtis les fondations de l’humanité pour terminer sur les chiottes en train de regarder le monde à travers la lucarne d’un appareil électronique qui atrophie le doigt qui nous a différencié de toutes les autres espèces : le pouce. Le regard vers le sol n’a jamais fait avancer l’humain-e, il-elle a toujours lutté en regardant le ciel. Il-elle se laissait guider en pensant à la hauteur qu’il-elle pourrait prendre, non pas pour s’élever au-dessus de la terre des Hommes, mais pour apaiser la souffrance d’une vie rude. Et l’évasion spirituelle lui a permis de se porter au-dessus de sa propre nature animale. L’au-delà lui a donné la force et l’envie de dépasser sa propre existence, de représenter la beauté, la grâce d’un monde qui l’ont aidé à vivre et trouver le salut. Il est bien évident que la bêtise et la violence ont toujours été nos compagnes de route, mais elles étaient parcellaires et ne pouvaient que très rarement se propager comme une épidémie à l’ensemble de l’humanité. Il a donc fallu perdre le sens de pourquoi nos actes, pour ne plus vouloir trouver la sortie. Nous avons fini de rêver, tels des oisillons, nous attendons la becquée d’un imaginaire pré-mâché qui nous donne l’apparence d’une vie extra-ordinaire. Cette vie d’un autre, prend le dessus sur la nôtre, et efface les moindres recoins de nos joies, de nos peines, et devient cet équivalent de nous, mais ne parvenant jamais être celui ou celle que nous ne sommes pas, nous sommes poussés à la vénération de cette autre vie, qui ne sera jamais vécue. Une différence, que dis-je, un gouffre s’ouvre sous nos pieds, et nous tombons toujours plus bas dans l’horreur de notre inexistence. Comme une drogue dure, cette vie par procuration nous détruit et nous fait perdre toutes nos sources d’envie. Alors que reste-t-il à faire ? Que reste-t-il à dire ? Rien ?
Non, bien au contraire, quand il n’y a plus d’espoir, il reste l’espérance qui voit ce qui n’est pas encore et qui sera. Je ne veux pas croire qu’il n’y ait qu’un seul chemin pour l’humanité, la fatalité de la voie unique est la simple vision donnée à travers l’omniprésence de nos écrans. Bien évidemment, la solution serait d’éteindre cette source de lumière artificielle et agressive, mais ne l’oublions pas, nous ne sommes que des humains-es. Il va falloir un certain courage pour se soigner, pour se désintoxiquer. Nous pourrions déjà apprendre à détourner le regard, car si nous nous moquons de la bêtise des insectes attirés par la lumière d’une ampoule, je pense qu’un peu d’humilité s’impose, car notre comportement n’est pas très éloigné. Lever la tête donc, et puis s’arrêter, même un court instant, descendre d’un bolide qui ne nous laisse pas le temps d’apprécier le temps qui passe ; nous ne pourrons pas l’immobiliser de toute façon, alors regardons la grâce de cet instant que nous prenons le temps de vivre. Perdre cette notion de l’efficacité permanente, car la recherche du toujours plus efficient est caduque. En effet, plus nous accomplissons les choses, plus nous réduisons le temps nécessaire à réaliser telle ou telle activité (que nous trouvons souvent inutile par ailleurs) plus la complexité de ces tâches s’intensifient. Et nous reprenons alors ce cercle vicieux infernal, nos “to-do lists” s’allongent indéfiniment comme le “feed” de nos réseaux sociaux. Que cherchons-nous ? Nous avons détruit toute possibilité spirituelle collective et, pour une partie d’entre nous, n'ayant plus grand effort à faire pour survivre, nous nous perdons dans des chasses multiples pour tenter de combler le vide de notre existence. Nous nous plaçons dans une situation insolvable, telle l’image d’Epinal d’un âne qui avance avec une carotte pendue au-dessus de sa tête, nous ne l’attraperons jamais. Si je n’échappe pas à cette course effrénée, ne serait-ce pas le moment de revoir nos attentes de ce bref passage sur Terre.
Et d’ailleurs, que sommes-nous venus faire ici ? C’est bien toute la quête de l’être humain-e, c’est tout ce qu’il-elle a été amené-e à créer jusqu’à aujourd’hui. Mais ne parvenant pas y répondre, la part de l’inconnu nous envahit, nous fige. Et, tel un animal en cage, nous acceptons tout de la première « personne » qui nous dit avoir la clé. En échange de la “Liberté” sans souffrance, nous sommes en train de nous déposséder de notre propre création du monde. La chose que nous n’avons malheureusement pas compris, c’est que ce sauveur n’est pas à l’extérieur, mais comme nous, il vit enfermé derrière des barreaux. La froideur et la rigidité de ces lames de fer nous effrayent tellement que nous tombons dans le piège de la fascination pour le reflet d’une “liberté” qui nous plongera dans les profondeur de l’obscurité. Alors quoi ? Prendre le taureau par les cornes, des phrases, toutes faites comme celle-ci, il y en a des centaines ! Evidemment, c’est beaucoup plus facile à dire qu’à faire, des expressions qui se veulent percutantes et inspirantes, mais seulement des mots sans fond qui nous attirent encore plus dans l’abime, car épris d’une culpabilité d’autant plus grande que nous nous rendons compte de notre incapacité, ou plutôt notre laxisme à agir. Bloquée par des murs invisibles, notre envolée lyrique se volatilise en quelques instants. Incapacité à se trouver, impossibilité à savoir quoi faire dans un monde de non-sens, il ne reste plus qu’à s’immobiliser et à laisser parler d’autres qui clament à tue-tête la superficialité chimérique de leurs instants de vie. Et nous, on peste, on critique, on s’égare à nouveau. En cherchant indéfiniment sa voie, on perd toute croyance de trouver sa voix. Alors on laisse défiler notre vie, en attendant indéfiniment le bus qui nous amènera à destination. Mais cette attente n’est autre que le cancer qui nous ronge de l’intérieur petit à petit et amenuise nos forces d’y croire.
Il est temps, il ne faut plus se laisser aller. Il faut crier à l’espérance, il faut se ressaisir, il faut retrouver la parole et utiliser ce langage qui nous fait corps. Non pas pour décrier des avis péremptoires, mais pour véritablement se libérer, reprendre du sens, échapper au nihilisme ambiant et avancer. Redonner aux mots leur signification, parler pour se faire entendre en tant qu’humain-e, et prouver que la destinée de nos êtres n’est pas encore toute tracée. Recommencer à écrire l’histoire de l’humanité, ne pas laisser l’automatisation flanquée d’une intelligence qui n’est pas la nôtre en nous imposant sa vision de qui nous sommes. Reprendre en main, aussi fébriles qu’elles soient, nos vies.
Who are we really, what have we become? What is the place of humans in the 21st century? In the face of the loss of meaning, we no longer know where to turn, to whom to turn to. We rush headlong, pretending to live. Is this the only way, the only outcome for a world that we have spent millennia crafting with our own hands? Sure, it's not always glorious; errors have accompanied our journey, but they are also ours, they belong to us, they mean something about us only if we embrace them and do not wish to erase them. So why do we abandon them to the binary language that reduces the grace of our existence? We want to purify ourselves of our sins, pretend they were not ours, but if we erase all traces of our path, we are no longer human. Shouldn't we reconsider our place within our present? Face the reality of our species, our emotions, our ideals, our pains, our language. Why do we want to go faster, to go where anyway? We don't know. But then what?
The smoothing of our rough edges is nothing more than a reflection of a loss of values. We no longer know how to write, we no longer know how to use our hands, which, replaced by the efficiency of our machines, have made us lose the very essence of our own evolution. We struck the ground with a hammer, which, through its efficiency, made us dream of a world without physical suffering. However, unlike machines, we are thinkers, and losing the use of our hands plunges us back into the dawn of our quadruped position. These industrial, then silicon, and now artificial revolutions strike brutally at the primary sense of this word. A return to square one, which erases the writing of our lives with a single gesture. Here we are, alone, lost, in constant search of something new to make us forget that we can no longer feel the sensation of satiety, that the nutrients brought by our food are devoid of flavor; so we eat, we gorge ourselves, we invent, we reinvent, we do, we undo, we build, we deconstruct, we reconstruct the same things. We are no longer moving forward, we are treading water. The moment today is nothing more than an illusion. The notes repeat themselves, but no longer creates melodies. Just a relentless, throbbing rhythm that strikes our unconscious and belittles us, diminishes us, reduces us, stifles us. Today, we carry on our frail shoulders the enormous weight of our own existence alone, as if we have to consider all humanity without any boundaries.
So what to do? Complaining is our favorite activity, we have never had so many possessions, things to do, even access to luxury goods, and yet we have never been so bored. Perhaps because life is leaving us a little bit more each day, perhaps because our body is only used to transport the intestines that expel the waste of our soulless being. We would then have become nothing more than shitting machines. What a horror! That cannot be true, that cannot correspond to the quest for our humanity: “shit boxes”. Nevertheless this image, this vision of ourselves, we don’t have to accept it. It is not the only outcome; we do not have to follow this path scripted by our lack of courage to see things differently. We have not fought all these battles, these struggles, these evolutions that built the foundations of humanity to end up on the toilet watching the world through the porthole of an electronic device that atrophies the finger that has differentiated us from all other species: the thumb. Looking at the ground has never made humans progress; they have always fought by looking at the sky. They let themselves be guided by thinking about the height they could take, not to rise above the land of Humans, but to soothe the suffering of a harsh life. And spirituality allowed him to rise above his own animal nature. The afterlife gave him the strength and the desire to surpass his own existence, to represent the beauty, the grace of a world that helped him live and find salvation. It is obvious that stupidity and violence have always been our companions, but they were fragmentary and could only very rarely spread like an epidemic to all of humanity. It therefore took us to lose the meaning of why our actions, to no longer want to find the way out. We have stopped dreaming, like fledglings, waiting for the pre-chewed imaginary to give us the appearance of an extra-ordinary life. This life of another takes precedence over ours and erases the smallest corners of our joys, our sorrows, and becomes this equivalent of us, but never managing to be the one we are not, we are driven to venerate this other life, which will never be lived. A chasm opens under our feet, and we fall ever lower into the horror of our nonexistence. Like a drug, this vicarious life destroys us and makes us lose all our sources of desire. So what is left to do? What is left to say? Nothing?
No, on the contrary, when there is no more expectation, there remains hope that sees what is not yet and what will be. I don’t want to believe that there is only one way for humanity, the fatality of the single path is the simple vision given through the omnipresence of our screens. Of course, the solution would be to turn off this source of artificial and aggressive light, but let's not forget, we are only humans. It will take some courage to heal and to detoxify ourselves. We could already learn to look away, if we mock the stupidity of insects attracted to the light of a bulb, I think a little humility is in order because our behavior is not far off. So let's raise our heads, and then stop, even for a short moment, get off the speeding vehicle that doesn't give us time to appreciate the passing of time; we won't be able to stop it anyway, so let's look at the grace of this moment that we are taking the time to live. Lose this notion of permanent efficiency, because the quest for ever greater efficiency is outdated. Indeed, the more we accomplish things, the more we reduce the time needed to carry out such and such an activity (which we often find useless anyway), the more the complexity of these tasks intensifies. And then we take up this infernal vicious circle again, our to-do lists stretch infinitely like the feed of our social networks. What are we looking for? We have destroyed all collective spiritual possibilities and, for some of us, no longer having anything to do to survive, we get lost in multiple hunts to try to fill the void of our existence. We place ourselves in an unsolvable situation, like the image of an old-fashioned donkey moving forward with a carrot hanging above its head, we will never catch it. If I do not escape this frantic race either, wouldn't it be time to reconsider our expectations of this brief passage on Earth? And besides, what have we come here to do?
This is the quest of the human being, it is all that he or she has been led to create until today. But failing to answer it, the unknown part invades us, freezes us. And, like a caged animal, we accept everything from the first "person" who tells us they have the key. In exchange for “freedom” without suffering, we are in the process of dispossessing ourselves of our own creation of the world. We unfortunately have not understood that this savior is not outside, but like us, he lives locked behind bars. The coldness and rigidity of these iron blades frighten us so much that we fall into the trap of fascination for the reflection of a “freedom" that will plunge us into the depths of darkness. So what? Take the bull by the horns, there are hundreds of phrases like this! Obviously, it is much easier said than done, expressions meant to be striking and inspiring, but only empty words that draw us even more into the abyss because we are gripped by guilt all the more, when we realize our inability, or rather our laxity, to act. Blocked by invisible walls, our lyrical flight vanishes in moments. Inability to find oneself, impossibility to know what to do in a world of nonsense, there is nothing left but to stay still and let others speak, who loudly proclaim the chimerical superficiality of their moments of life. And we gripe, we criticize, we get lost again. By endlessly seeking his way, one loses all belief in finding his voice. So we let our life go by, waiting indefinitely for the bus that will take us to our destination. But this waiting is nothing more than the cancer that gnaws at us from the inside little by little and diminishes our strength to believe.
It is time, we must not let ourselves go any further. We must cry out for hope, we must pull ourselves together, we must find our voice again and use this language that makes us one body. Not to decry peremptory opinions, but to truly liberate ourselves, to regain meaning, to escape the ambient nihilism and to move forward. Give words their meaning again, speak to be heard as humans, and prove that the destiny of our beings is not yet fully mapped out. Start writing the history of humanity again, do not let automation, coupled with an intelligence that is not ours, impose its vision of who we are. Take back control of our lives, as fragile as they may be.